La version arabe sur alawan.org (le site de la Ligue Rationaliste Arabe) a été traduite par Hamid Zanaz, auteur de L'impasse islamique (Éditions Libertaires, 2009).
La version française :
Hamid Zanaz : Y a-t-il vraiment une tentative sérieuse d'islamisation des Beurs ?
JB : Le développement de l'islam en France ne saurait être trop facilement mis sur le dos d'un complot extérieur. Certes, l'ambition planétaire d'un islam conquérant existe bien, l'Histoire en est témoin depuis quatorze siècles, mais le déclencheur, en France, est à rechercher ailleurs : l'activisme musulman s'est greffé sur le terreau du chômage, de l'acculturation dans les grands ensembles, des discriminations à l'emploi et au logement. Sur ce terrain idéal pour les fanatiques rompus à l'islamisation, on voit se multiplier les salles de prières clandestines, la diffusion de lectures obscurantistes ne connaît pas de limite et on assiste à un véritable développement dans la pratique visible de l'islam par rapport à la génération des premiers migrants en France.
Plus qu'un système imposé de l'extérieur, l'islam devient une mode chez certains jeunes qui le brandissent comme un étendard : port du foulard chez les jeunes femmes (avec ses diverses déclinaisons pouvant rivaliser d'élégance), adoption de la barbe chez les hommes (avec éventuellement une marque au front pour attester de la pratique scrupuleuse des cinq prières quotidiennes), mutation du langage (généralisation de l'interpellation "mon frère"). La mode va jusqu'à séduire des non musulmans qui s'abandonnent à la conversion et peuvent alors afficher, par leur exaltation, leur nouvelle soumission spirituelle. Il semble ainsi qu'une fraction importante de femmes en niqab ou en burka soit constituée de converties. Le tout est servi par l'imposture croissante du cultuel transformé en culturel : le ramadan est en train de devenir un fait de société dont personne ne relève la souffrance faite au corps (prouver sa foi par la mortification), l'incompatibilité avec les activités professionnelles (chute de la productivité), les dangers pour la santé (hyperglycémie à la rupture du jeûne) et la conduite en voiture (faiblesse physique), etc. L'islamisation procède aussi par les pressions de la part des proches : le regard de la famille, des amis, des voisins, éventuellement les menaces, vont convaincre les réticents ou les indécis de succomber à l'islam.
Plus grave et dramatique dans les faits, une réelle islamisation est effectuée en prison où des détenus vont soit se convertir, soit se réislamiser au contact de fanatiques dangereux. Ici, il ne s'agit plus de la mode du "c'est mon droit, c'est mon choix", mais de l'adhésion à un projet politique totalitaire et de sa mise en pratique violente.
Hamid Zanaz : Comment procédent les islamisateurs (Mosquée de Paris, de Lyon, les associations, UOIF, etc.) ?
JB : On peut ranger sous le terme islamisateurs toute structure ou individu dont la vocation est la propagation de l'islam. L'expansionnisme étant consubstantiel à l'islam, les organisations qui s'en réclament agissent comme des petits soldats de la Cause et les islamisateurs se répartissent en trois groupes : les mosquées, les associations, les conférenciers.
En fidélisant un public, les mosquées sont les premiers foyers de la diffusion de l'islam. A Paris, la mosquée Omar de la rue Jean-Pierre Timbaud et, dans le quartier de Barbès, les mosquées El Fath et Khaled Ibn El Oualid nourrissent un fanatisme dont l'intensité peut se mesurer au blocage de plusieurs rues chaque vendredi par des centaines de croyants. En 2005 une séance de désenvoûtement a fait un mort à la mosquée Omar et, dix ans auparavant, le cheikh Abdelbaki Sahraoui, un des fondateurs du FIS, avait été assassiné dans la salle des prières de la mosquée Khaled Ibn El Oualid. La mosquée Addawa de la rue de Tanger feint de jouer la carte de l'ouverture et des rencontres culturelles mais n'abandonne pas pour autant d'inviter un doctrinaire rigide comme Hani Ramadan. La Mosquée de Paris, avec son recteur Dalil Boubakeur, opte pour la servilité vis-à-vis du pouvoir et on pourrait presque parler d'un islam gallican pratiqué par de faux modérés qui sont plutôt de vrais réactionnaires. Si la Mosquée de Paris n'est qu'une annexe de l'ambassade d'Algérie, d'autres ne rechignent pas devant les pétrodollars. Lors de la tournée française du saoudien Abdullah Turki en 2002, nombreux ont été ceux qui se sont pressés devant le pieux capitaliste pour recueillir un peu de la manne pétrolière.
Parmi la nuée d'associations musulmanes, l'Union des Organisations Islamiques de France s'impose comme la plus fédératrice : son congrès annuel est une opération gigantesque qui permet de mesurer la vigueur de l'islam en France. Des milliers de personnes se pressent dans le hall commercial, dans la très grande salle de prière ou dans l'immense hangar des conférences, avec une séparation des hommes et des femmes dans ces deux derniers. Avec des femmes très majoritairement voilées, on mesure bien la progression de l'islam politique. L'islamisation passe aussi par une littérature à bas prix extrêmement obscurantiste dont le propos n'est pas tant d'encourager à la réflexion que d'apporter des réponses simples et rapidement consommables afin de prévenir l'apparition de questionnements. Ne pas penser par soi-même pour, plutôt, rabâcher les sentences énoncées par d'autres est la tâche de cette basse littérature.
Enfin, des conférenciers apportent la caution intellectuelle nécessaire à la soumission béate des masses. Le congrès de l'UOIF ainsi que d'innombrables mosquées, salles de prière et associations locales, sont leur terrain favori et les intervenants les plus sollicités sont Hassan Iquioussen, Tariq Ramadan et son frère Hani (l'autre face de la même pièce). Mais l'opération ne serait pas complète si elle ne recevait l'appui inespéré d'universitaires et de responsables associatifs français non musulmans, désignés sous la rubrique d'islamogauchistes. Persuadés que l'islam est la religion de l'opprimé, ils s'abandonnent à un relativisme culturel qui d'une part, enferme les personnes originaires de pays musulmans dans une identité dans laquelle ils ne se reconnaissent pas nécessairement, et d'autre part minimise incidemment l'oppression sourde qui peut s'exercer dans le milieu familial ou le voisinage. Vincent Geisser, Mouloud Aounit et Raphaël Liogier en sont des représentants.
Hamid Zanaz : Quelle est la responsabilité des gouvernements ?
JB : La responsabilité du gouvernement français est déterminante dans l'acceptation de l'islam comme partenaire politique. En créant le Conseil Français du Culte Musulman en 2002-2003, Nicolas Sarkozy a repris le pari de Jean-Pierre Chevènement de contenir le développement du fanatisme musulman en l'institutionnalisant dans une structure qui le canaliserait, espérait-on, sur la voie de la démocratie. C'est bien mal connaître une mouvance pour laquelle la première loi à respecter est celle de textes religieux présentés comme sacrés, avant celle établie par les parlementaires élus par le peuple. En agissant ainsi, le gouvernement français s'inscrit dans la série déjà longue de ses prédécesseurs pour lesquels la religion est d'abord vue comme un auxiliaire de maintien de l'ordre : si la dimension spirituelle de la religion les intéresse finalement assez peu, c'est plutôt son aptitude à soumettre le croyant à l'autorité qui est exploitée en lui assurant, en retour, de réels avantages. Napoléon, Thiers et Gambetta avaient compris que la coopération avec un catholicisme fataliste aiderait à éloigner le peuple de la tentation de la rebellion ou de la revendication d'une vie meilleure. Nicolas Sarkozy ne fait pas autre chose quand il se déplace au Vatican ou à la Mosquée de Paris : chaque ramadan voit un représentant du gouvernement (Président, Premier ministre ou autre ministre) assurer la Mosquée de Paris et son recteur de l'amitié d'une République qui, pourtant, passe pour laïque.
C'est donc pour acheter la paix sociale que l'État gagne à faire accroire que pourrait exister un islam compatible avec la laïcité et la République. Il ne s'agit pas de démontrer cette compatibilité, encore moins de convoquer les théologiens à cette tâche, mais d'en persuader tous les citoyens de façon que l'État dispose d'individus peu suspects d'agir pour leur émancipation.
Pourtant, le Conseil Français du Culte Musulman, après sept années d'existence, a maintes fois prouvé son incapacité à gérer le culte et les pratiques des musulmans. Rivalités de personnes, impossibilité à parler d'une seule voix, incohérence totale entre le discours laïque, attendu, et le discours islamique, pratiqué au plus profond de soi-même, font que le CFCM demeure d'une inutilité absolue. Exiger, par cet organisme, que tous les musulmans résidant sur le sol français adoptent un même discours est une absurdité : comment concilier un sunnite et un chiite, un salafiste et un turc affilié à son gouvernement, un émissaire du pouvoir algérien et un sujet de Mohammed VI, un militant du Tabligh et une musulmane qui revendique le droit de ne pas porter le voile ? Les chrétiens ne disposent pas, en France, d'un organisme unificateur qui rassemblerait toutes ses tendances car catholiques, protestants, orthodoxes, adventistes, pentecôtistes, etc. forment autant de sectes irréconciliables. L'exiger des musulmans est voué au même échec.
Les efforts du gouvernement dans la fable d'un islam humaniste peuvent se faire plus subtils par la manipulation du langage. Le terme islamophobie, comme celui plus général de religiophobie, exprime le rejet absolu d'une religion mais a souvent été détourné par Nicolas Sarkozy en un racisme envers les individus. Qu'il s'agisse d'une incapacité de sa part à distinguer la critique d'une religion du rejet de ses adeptes ou d'une stratégie délibérée de manipulation des concepts, l'opération s'avère réellement calomnieuse. Attaquer une religion avec la plus grande irrévérence n'est pas plonger ses partisans dans l'opprobre. Un fossé immense sépare souvent une religion de ceux qui s'en réclament pour deux raisons : soit les croyants n'ont pas une pleine connaissance de la totalité de la doctrine (rares sont ceux qui ont lu la Bible ou le Coran), soit ils savent manifester leurs désaccords avec les points qui leur semblent inacceptables en raison de valeurs morales élaborées en dehors d'un cadre religieux. Et dans le cas où le croyant assume entièrement le contenu totalitaire de sa religion, assimiler à du racisme la dénonciation de l'idéologie dont il est l'ambassadeur signerait la fin du droit à la critique de toute idée, toute conviction, tout système, que cela s'inscrive dans un cadre religieux ou pas.
6 juillet 2010
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