Une messe de requiem pour Louis XVI




"J'savois ben qu'jaurions not tour"
18ème siècle
Musée Carnavalet
Le 21 janvier 1793 Louis XVI perd définitivement la tête et il est enterré au cimetière de la Madeleine à Paris, béni à la chaux vive. Son épouse Marie-Antoinette ira le rejoindre le 16 octobre. Jugeant le lieu peu royal, Louis XVIII fait transférer les monarques, ou ce qu'il en reste, à la Basilique de Saint Denis le 21 janvier 1815. Saint Denis est un autre décapité que la mystique chrétienne avait fait venir de Paris, la tête sous le bras, jusqu’à cette commune pour laquelle le catholicisme n'est plus aujourd’hui qu'un lointain souvenir, l'islam occupe désormais le terrain. Louis XVIII décide aussi d'élever un monument à la gloire du décollé afin de "demander pardon à la France". A l'emplacement précis où il est demeuré pendant plus de vingt ans est construite la Chapelle Expiatoire, rue Pasquier, dans le 8ème arrondissement.

Depuis, chaque 21 janvier, une messe de requiem est célébrée en l'honneur de Capet et en l'horreur de la Révolution. Croira-t-on qu'actuellement il ne s'agit plus là que d'une obscure confrérie fossilisée priant dans une église discrète de la Fraternité Saint Pie X ? Erreur, 500 catholiques étaient réunis en ce glacial 21 janvier 2003 en la Basilique de Saint Denis.

A la manière d'une triste représentation théâtrale où les effets ont leur importance, la cérémonie s'est ouverte par l'entrée en scène des artistes, comédiens d'un autre âge rejouant sans cesse la même pièce depuis des lustres avec la même gravité et le même apitoiement sur la perte des valeurs chrétiennes. Un cortège d'une dizaine de personnes s'est avancé dans l'allée, emmené par le prétendant au trône accompagné de sa potiche. L'assistance a accueilli cette France poussiéreuse avec la plus grande déférence. On ne rigole pas avec ces choses-là. Le couple royal s'est installé aux meilleures places, des sièges au premier rang en velours rouge bordeaux, suffisamment moelleux pour qu'assister à la messe ne soit pas un calvaire supplémentaire.

Toujours dans un grand silence, la poursuite des préliminaires a vu le gourou local apparaître suivi des prêtres et des bedeaux. A la vue de la croix qui les annonçait, le public, studieux, se signe. Il est à noter que si le souvenir de Louis XVI reste vivace dans cette classe inutile et archaïque de la société, le port du nez style Louis XVI se fait plus rare. Un seul exemple a été donné à voir. Tout se perd. Il est conseillé aux nostalgiques de l'appendice nasal capétien de se rendre en pèlerinage à l'église Sainte Elisabeth (rue du Temple, 3ème arrondissement de Paris) pour y admirer un médiocre tableau de Capet au cachot où toute la sainte famille arbore ce promontoire, pardon, cette péninsule, typiquement royale.

Après une alternance assez ennuyeuse de vénération silencieuse et de chants latins, sous une tenture ornée de fleurs de lys, le religieux commence son homélie par une citation du second livre des Maccabées : on y insiste sur la réalité et l'importance de la résurrection ainsi que sur la nécessité de prier pour les morts. Louis XVI n'est pas cité mais le message est bien passé. L'ecclésiastique s'adresse alors, enfin, à son public en commençant par les mythomanes du premier rang : "Monseigneur, Madame, Vos Altesses Royales". Oui, en effet, il ne peut s'agir que d'une représentation théâtrale. Comment croire qu'en 2003 une démocratie laïque qui n'a pu se construire que par le combat acharné contre la royauté et le dogmatisme religieux, puisse accepter dans ses murs telle mascarade? Rappel : la Basilique de Saint Denis est une propriété publique.

Après cette adresse aristocratique, le curé maître de cérémonie se déchaîne immédiatement dans une diatribe antirévolutionnaire. Se déverse alors dans l'église une haine contenue depuis un an, depuis le 21 janvier 2002 date de la précédente représentation de la pièce. Les révolutionnaires sont des profanateurs sanguinaires, des adversaires impies de la France catholique "de Clovis à Louis XVI" . Mgr Darboy, tué lors de la Commune de Paris, est cité : "Gardez vos traditions chrétiennes ". Immanquablement, tout scénario a ses faiblesses, sont rappelés les propos éculés du pape Jean Paul II sur la "France, fille aînée de l'Eglise". Pourquoi chercher plus de subtilité quand les formules faciles font recette même si c'est au mépris de l'histoire ? Le gourou vêtu de pourpre poursuit par un déluge d'injonctions où la France ne trouvera son salut que dans la chrétienté : "La France est le royaume de Marie", "Les martyrs sont la semence de la chrétienté" (on peut suspecter le plagiat d'un entretien donné par le cardinal Etchegaray à l'hebdomadaire Le Point en octobre 2002), "France, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême" etc. Louis XVI est un martyr dont la mort est qualifiée d'"assassinat". Et sans oublier de se référer aussi à Pie X, autre apôtre du catholicisme le plus fidèle aux origines.

Après tant de haine et de ressentiment, une pause fut la bienvenue. Le racket épiscopal, aussi appelé quête, vit les corbeilles se remplir et les billets de cinq euros y abondaient.

Une fois la dîme payée, une scène curieuse s'est déroulée sur l'autel. Dans un moment de grand silence et de recueillement, interrompu parfois par une sonnerie qui maintenait éveillé et la tête baissée le gratin congelé par une température frigorifique, le gourou, un prêtre et un bedeau ont été les acteurs d'un cérémonial très ésotérique. Le religieux était debout, dos au public et face à la croix qui domine l'autel. Devant lui, vu de l'assistance, un prêtre relevait avec application la partie arrière de sa chasuble. Le troisième acteur, un bedeau, peut-être le comique de la troupe, était placé à son tour devant le prêtre et balançait nonchalamment de l'encens dans la direction du saint postérieur. Etonnant, non ? L'ignorance du rédacteur de ces lignes sera grandement redevable à ceux qui voudraient bien en donner quelqu'interprétation, y compris mal intentionnée. Si le sens reste caché, l'intermède fut néanmoins apprécié par son caractère distrayant.

Le prêtre qui jouait jusque-là les seconds rôles, frustration d'une vie vouée à l'Eglise et restreinte au porte-chasuble, s'avança alors vers le pupitre avec une assurance qui forçait l'admiration. Le propos fut bref, sec, à l'image d'une Eglise qui n'est pas faite pour les faibles, une Eglise de rois et de conquérants. Il s'agissait de préparer sérieusement la communion. Le fidèle doit gober une hostie qui lui restera toujours trop longtemps non pas sur le ventre mais collée à la partie supérieure du palais, un désagrément aussi persistant qu'insoluble. Le supplice de l'hostie n'est pourtant pas donné à tous, cela doit se mériter, c'est un peu comme le martyre, n'est pas martyr qui veut. L'austère curé a donc savamment énoncé avec sévérité les quatre conditions requises pour communier :

    - être baptisé selon le rite catholique ;
    - s'être confessé, ne pas avoir de faute grave sur la conscience ;
    - être à jeun depuis une heure ;
    - être en règle sur le mariage catholique.

Mais, de façon surprenante, tous les présents ne sont pas allés communier. Les supputations les plus diverses peuvent alors être émises : laquelle, ou lesquelles, des quatre conditions n'a pas été remplie par ces nobliaux ? Grave question dont la réponse aurait permis d'aérer un scénario qui demeure, hélas, assez immobiliste. L'aristocratie catholique ne se signale pas par une ambiance de franche rigolade.

Un certain flottement dans le déroulement des génuflexions incita le curé à reprendre la situation en main. Et quoi de plus saisissant que la lecture du testament de Louis XVI, daté du 25 décembre 1792 ? Capet y assure de sa foi chrétienne, de son innocence des faits qui lui sont reprochés et choisit de s'en remettre à "Dieu" pour le conserver en vie. La suite, survenue un mois plus tard, a montré que ce choix ne fut pas le plus judicieux. Mais il faut reconnaître à l'orateur un don certain pour la diction à la mode de l'Ancien Régime : les "ai" étaient systématiquement remplacés par des "oi". Ainsi il ne fut pas donné d'entendre "étaient" mais "étoient", "avais" était remplacé par "avois" etc. L'Eglise catholique, par son attachement maladif aux fastes passés, c'est aussi la crainte et le refus de l'avenir et du progrès qui voient inéluctablement l'émancipation des sujets, manants et serfs.

La cérémonie traînait en longueur et l'ecclésiastique prit fort à propos l'initiative d'emmener tout ce monde transi, autant par le froid que par la modernité, en direction de la crypte où sont conservés les carcasses des rois de France (de vieux os, rien de plus). Naturellement, "Monseigneur et Madame" sont passés devant, suivis par la petite foule des adorateurs de la fleur de lys. Quelques traîtres à la cause royale n'ont cependant pas daigné descendre dans les bas-fonds de la chrétienté, toujours synonymes du culte des défunts, autant morbide qu'inhibiteur, et où sont exaltés la souffrance et l'apitoiement forcé. Après moult prières, le curé dégaina son goupillon et prononça quelques borborygmes en latin à la gloire de Capet. Le roitelet et sa blonde bénirent l'aïeul avec le divin goupillon et passèrent l'objet symbole de tant d'imprécations et de frayeurs populaires à d'autres mains royales qui l'abandonnèrent ensuite à des paluches roturières. Fin de la représentation, le rideau tombe sur un microcosme décalé qu'il serait plus agréable de voir dans un musée que dans ce genre de carnaval obsolète. Pas d'applaudissement ni de rappel pour une mauvaise pièce caricaturale et excessive.

A la sortie de l'église, dernière épreuve avant de retrouver le monde libre, des tracts étaient distribués et leur lecture rend compte du fondamentalisme catholique des participants à l'office. L'association d'extrême droite SOS tout-petits appelait à une manifestation cocasse contre la franc-maçonnerie, l'avortement, la laïcité, le siècle des Lumières : une prière publique sera effectuée le vendredi 28 février 2003 à 19h30 à proximité du siège du Grand Orient de France, rue Cadet à Paris. Ca devrait valoir le coup d'œil...



La cérémonie qui s'est tenue ce 21 janvier 2003, par sa régularité annuelle et sa virulence contre les idéaux révolutionnaires, est une insulte à la démocratie et à la laïcité :

    - est-il acceptable que l'utilisation d'un bâtiment public, la Basilique de Saint Denis, soit confiée à des individus et une institution dont l'héritage ne se mesure que par des siècles d'oppression, et qui persistent dans le soutien à un ordre ancien dont la disparition est la seule cause de l'avènement des valeurs humanistes et des libertés d'expression, de pensée, d'association, syndicales ?

    - doit-on simplement reléguer dans le pittoresque ces quelques personnages se faisant appeler "Monseigneur", "Altesse", "Duc", et accepter qu'il répandent leur propagande antidémocratique dans des lieux qui appartiennent à l'Etat ou aux mairies ?



23 janvier 2003

Ajout du 1er février 2003 :
Une information est apportée par l'évêché de Saint-Denis par l'intermédiaire d'un prêtre qui est aussi un fidèle lecteur d'atheisme.org : la cérémonie a été dirigée selon le rite de Pie V par un moine des Ardennes officiellement indépendant de l'évêché.

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